INTERVIEW- EMMANUELLE PIROTTE
Historienne puis scénariste, Emmanuelle Pirotte publie son premier roman, Today we live, en 2015. Traduit en quinze langues, il sera lauréat du prix Historia et du prix Edmée de La Rochefoucauld, ainsi que du prix des Lycéens en Belgique.
Par la suite paraîtront De profundis puis Loup et les hommes.

Bonjour Emmanuelle et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions! En août est paru votre 4eme roman « D’innombrables soleils ». J’ai découvert votre plume avec cette œuvre et j’ai adoré, un véritable coup de coeur ! Comment vous est venue l’idée de ce roman ?
J’ai visité il y a deux ans un manoir dans les Cotswolds en Angleterre, construit autour de 1600, encore intact. Le lieu était chargé, plein d’atmosphère. J’ai éprouvé l’envie d’y faire évoluer des personnages. Je lisais alors l’anti-biographie de Shakespeare par Bill Bryson, où l’ambiance du Londres élisabéthain est vivement rendue ; il y avait quelques lignes sur Marlowe, que je connaissais très peu. J’ai fait des recherches sur le personnage, découvert son génie, son caractère libre, provocateur, très fantasmatique pour un romancier. J’ai découvert que certains historiens défendent l’hypothèse qu’il ne soit pas mort à la date communément admise, en mai 1593. Je me suis engouffrée dans cette brèche romanesque et ai accordé au poète un surplus de vie. Et l’idée d’un huis-clos, d’une passion dévorante et d’une rencontre artistique s’est imposée.
Quelques mots pour le résumer ?
En Mai 1593, le dramaturge Christopher Marlowe est donné pour mort lors d’une rixe. Son ancien amant Walter le ramène dans son manoir du Dorset. Là, Marlowe rencontre Jane, l’épouse de son hôte. Lui qui pensait n’aimer que les hommes, s’éprend follement d’elle. Ils vivent une passion fulgurante, et deviennent la muse l’un de l’autre.
A la fin du livre il est précisé que vous avez bénéficié d’une résidence d’écriture à la Villa Marguerite Yourcenar. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce lieu ? Quelles ont été vos journées types d’écriture ? Combien de temps pour finaliser le roman ?
J’ai passé un mois à la villa Marguerite Yourcenar à Saint-Jans-Capelle dans le Nord. Le lieu est une maison anglo-normande au cœur d’un parc magnifique, qui abritait le château de la famille de M. Yourcenar avant sa destruction entre les deux guerres, je crois. La villa est en réalité l’ancien garage, le lieu qui abritait les calèches, les premières automobiles. Une maison pleine de charme, avec une belle bibliothèque, des vues superbes sur le parc. Je partageais cette résidence avec deux autres auteurs, Kenan Gorgün et Louis-Philippe Dalembert. L’atmosphère était chaleureuse, très propice à l’écriture. Ma journée type était assez banale, je me levais vers 9h, j’écrivais la matinée jusque vers 13 heures, puis on se retrouvait dans la cuisine pour casser la croûte, de nouveau travail jusque vers 18 ou 19 heures, promenade d’une heure dans le parc, repas pris entre auteurs, préparé par Annick, la charmante cuisinière, travail de nouveau en soirée. Il nous arrivait souvent de traîner en bas à prendre le café après le déjeuner, à discuter de tout, de nos vies, de littérature, du monde. Nous avons participé à l’une ou l’autre rencontre littéraire, parlé de nos livres dans les écoles. J’ai écrit la fin de mon roman à la villa.
J’ai beaucoup aimé le personnage de Walter ! Son abnégation face à cet amour passionnel. Où avez-vous puisé l’inspiration pour ce personnage ou celui de Jane ?
Je voulais créer un personnage de femme puissante mais qui ne s’est pas encore pleinement réalisée. Elle est avide de s’appartenir, d’être elle-même dans une société où les femmes n’avaient pas vraiment droit au chapitre. En réalité, cette époque voit l’émergence de quelques femmes écrivains. Elles se mettent à traduire, à écrire de la poésie. C’est un début, bien sûr, mais c’est très émouvant. Il faut dire que le fait que le monarque du pays soit une femme- et quelle femme !- a sans doute encouragé ces réalisations artistiques féminines. Jane est un personnage très moderne et pourtant encré dans son époque, qui a faim de liberté, qui a besoin de s’exprimer en tant qu’artiste, mais elle a des peurs liées à la religion, à une conception de l’amour et du mariage, elle éprouve une forme de culpabilité, que Marlowe tente de faire disparaître. C’est une femme que la passion va transformer, ou plutôt qui va devenir qui elle doit devenir grâce à l’amour.
Si vous ne deviez citer qu’un passage du roman ?
« Ce soir, il veut entendre, il veut savoir, comprendre le mystère de leur union. Cette flagrance qui avait éclaté la veille malgré l’ébriété de Marlowe, ou peut-être à cause d’elle, une sorte d’appétit véhément, d’abandon vertigineux, douloureux, , un cri de leurs deux corps et de leurs deux âmes tout ensemble, une rafale qui avait dilaté l’espace, comme un souffle de vie à l’état pur ».
Comment se sent-on à chaque nouvelle parution ?
Chaque nouveau roman délivré au monde est un moment d’angoisse et de joie. La joie d’avoir été au bout de l’aventure et de pouvoir la partager, l’angoisse que ce ne soit pas reçu comme on l’espère. L’auteur qui vient de faire paraître un livre est très fragile, en réalité.
Avez-vous eu un/des coup(s) de cœur parmi les romans de cette rentrée littéraire ?
Je ne devrais sans doute pas le dire, mais je suis bouleversée par le premier roman de mon compagnon, Sylvestre Sbille (J’écris ton nom, chez Belfond) qui raconte l’attaque du XXème convoi pour Auchwitz par trois jeunes hommes complètement téméraires.
Je trouve le roman de Leonora Miano (Rouge Impératrice, Grasset) très ambitieux et puissant. Je ne l’ai pas encore lu, mais le premier roman de Tommy Orange chez Albin Michel m’attire beaucoup. J’ai une passion pour les peuples autochtones d’Amérique du Nord et chaque fois qu’un écrivain naît parmi ces peuples et fait entendre leurs voix, je m’en réjouis.
De nouveaux projets d’écriture en cours ?
Je travaille actuellement à un 5ème roman qui se passe, pour la première fois, dans le présent, dans mon pays, la Belgique, et plus précisément dans la ville d’Ostende.
Deux promesses de lectures que je me ferai : l’époque elisabethaine est une de mes favorites, et un roman à venir se déroulant à Ostende, ayant longtemps fréquenté les plages du Nord …
Idem, concernant Tommy Orange, dont j’ai écouté l’entretien récemment.
Merci de ton retour Catherine 🙂 as-tu lu ses précédents ouvrages? Je n’ai eu que de bons avis